A quelques mois de la prochaine élection présidentielle prévue le 12 octobre 2025, le Cameroun entre dans une période décisive de son histoire. Les discours des uns et des autres semblent plus se camper sur des promesses politiques et économiques. Alors que le climat préélectoral se tend et que les ambitions s’affichent, une question essentielle reste en marge des grands débats : quelle place pour la santé en général et celle des jeunes en particulier dans les visions politiques portées par les candidats ? Car il n’y a pas de développement réel et durable sans santé.
Avec près de 70 % de la population ayant moins de 30 ans, ignorer les enjeux sanitaires de la jeunesse n’est pas seulement une faute politique, mais une grave négligence, surtout dans un environnement marqué par de grands bouleversements. Reléguer ce facteur essentiel d’émancipation aux oubliettes, c’est compromettre l’avenir du pays.
En effet, dans un contexte international déjà fragilisé, marqué notamment par la suspension partielle des contributions américaines au financement de la santé mondiale, les projections sont alarmantes: plus de 26 millions de décès toutes causes confondues pourraient survenir d’ici 2040 si des mesures correctives ne sont pas prises. Parmi ces pertes, au moins 15 millions seraient imputables au VIH/SIDA, et 2,2 millions à la tuberculose, des maladies qui frappent de manière disproportionnée les jeunes, en particulier les jeunes femmes en Afrique subsaharienne. Dans un contexte où les défis démographiques, sociopolitiques, économiques et environnementaux se multiplient, ériger la santé des jeunes en priorité nationale stratégique n’est plus une option, mais une nécessité vitale.
Une jeunesse en alerte sanitaire : les chiffres parlent
Les jeunes Camerounais font face à un faisceau de vulnérabilités sanitaires combinées :
- Près de 40 % des nouvelles infections VIH sont enregistrées chez les jeunes de 15 à 24 ans, avec une prévalence nettement plus élevée chez les jeunes femmes (ONUSIDA, 2023).
- 1 jeune sur 4 aurait connu un épisode de dépression ou d’anxiété au cours des 12 derniers mois, selon les premières estimations non officielles d’acteurs de terrain.
- Les grossesses précoces touchent plus de 120 000 adolescentes par an, avec des conséquences dramatiques sur leur avenir scolaire et professionnel (MINSANTE, 2022).
- Les violences basées sur le genre, les addictions, les troubles du comportement et les suicides, longtemps tabous, s’accroissent, souvent dans l’indifférence institutionnelle.
Un système de santé parfois trop éloigné
Les structures de santé accueillantes pour les jeunes sont rares, surtout hors des centres urbains. Les services de santé mentale, eux, sont quasi inexistants pour cette tranche d’âge : moins de 60 psychologues pour 28 millions d’habitants. Quant à la couverture santé universelle amorcée, elle peine à se déployer efficacement chez les jeunes à faibles revenus ou sans statut formel.
Le résultat ? Une génération en grande souffrance, méfiantes vis-à-vis des institutions, souvent livrée à elle-même, sans accompagnement ni repères.
Candidats à la présidentielle : les promesses ne suffisent plus
Certains candidats évoquent timidement la gratuité des soins pour les moins de 25 ans, la création de centres de santé mentale, ou la digitalisation des services. Mais ces promesses restent génériques, rarement chiffrées, financées ou programmées.
Dans un contexte préélectoral où la jeunesse camerounaise est à la fois courtisée et désabusée, elle exige des engagements éclairés, concrets, co-construits avec elle.
Ce que la jeunesse attend vraiment
Face aux vulnérabilités sanitaires croissantes des jeunes Camerounais, il devient impératif de refonder l’action publique autour de cinq axes stratégiques. D’abord, l’accès à des soins de qualité, gratuits ou à coût réduit, doit être renforcé : à titre d’exemple, peu de centres de santé du pays disposent d’un service spécialisé en santé mentale ou en santé sexuelle adapté aux jeunes. Ensuite, la création de centres de santé jeunes dans chaque région, permettrait de garantir confidentialité, respect et prise en charge globale.
Par ailleurs, l’intégration suivie de l’éducation à la santé dans les écoles, universités et médias sociaux est essentielle : des initiatives comme « 100% jeunes » ou « entre nous jeunes », menées par le Ministère de la Santé Publique et des partenaires techniques et financiers, ont montré une amélioration du niveau de connaissance des élèves sur les Infections Sexuellement Transmissibles. De même, la mise en œuvre de politiques de santé mentale dédiées aux jeunes, avec des campagnes de sensibilisation, des lignes d’écoute anonymes comme le numéro vert 1510, ou encore des dispositifs d’accompagnement communautaire, peut contribuer à réduire l’indifférence face à la détresse psychologique silencieuse.
Enfin, donner aux jeunes une place dans la gouvernance sanitaire, en les incluant dans les comités régionaux de pilotage, comme l’expérimentent déjà certains pays africains (ex. Sénégal, Rwanda), permettrait de construire des politiques plus ancrées dans la réalité de terrain. Il ne s’agit plus de parler à la jeunesse, mais avec elle, pour bâtir un système de santé à son image : accessible, humain et tourné vers l’avenir.
Un pacte pour 2035 commence en 2025
Faire de la santé des jeunes une priorité n’est pas un luxe : c’est une obligation républicaine. C’est préparer un Cameroun productif, pacifié, en capacité de porter ses ambitions à l’horizon 2035. C’est aussi le meilleur gage pour un développement soutenu et fort.
Il ne peut y avoir d’émergence sans une jeunesse en bonne santé. Il ne peut y avoir de crédibilité politique sans des programmes chiffrés, planifiés, et adossés à une volonté réelle de transformation. Aussi, il faut planifier au mieux, rechercher et assurer un minimum de financement conséquent. Il faut maitriser une bonne gestion et pourquoi pas développer un autofinancement réaliste à la hauteur de systèmes de santé efficace.
La santé des jeunes ne doit plus être une ligne floue dans les programmes, mais une priorité nationale de sécurité humaine et de justice sociale. Car c’est en investissant dans leur santé qu’on assure la stabilité, la prospérité, et la souveraineté de la nation.
Investir dans la santé des jeunes, c’est miser sur un Cameroun plus fort, plus juste et résolument tourné vers l’avenir. Cette jeunesse, souvent reléguée au second plan, regarde, analyse… et s’apprête à faire entendre sa voix dans les urnes. Elle assume ses responsabilités envers la Nation. En retour, elle attend plus qu’un discours : un engagement sincère. La santé en est un des socles fondamentaux. Car ses choix, ses espoirs et son vote dépendront des engagements les plus crédibles, les plus concrets, pour garantir son bien-être et sa dignité.
Dr Hemes NKWA – Médecin épidémiologiste de terrain, présidente de YOHEDA, coordinatrice du CNSAF/CIDP