Crise migratoire, exode des talents : l’Afrique saignée à blanc, l’Occident complice ?

Au cœur de l’actualité internationale en cette année 2024, l’immigration canadienne occupe une place de plus en plus ascendante. Sur les trois dernières années, « la ruée » migratoire vers le Canada a atteint des proportions impressionnantes en raison de ses politiques d’immigration ouvertes, de sa stabilité économique et de sa qualité de vie. Le Canada utilise l’immigration comme un outil stratégique pour soutenir la croissance démographique et économique du pays et répondre aux besoins de son marché du travail. Sur les effets de cette émigration internationale, le taux d’accroissement migratoire, d’une ampleur rarement atteinte dans le monde, selon les chiffres de l’Institut de la Statique du Québec (ISQ) de Mai 2024 indique 25 pour mille au Québec en 2023 et 33 pour mille dans le reste du Canada. La place des flux de migrants africains et singulièrement ceux du Cameroun et les enjeux de ces mobilités vers ce nouvel « Eldorado » suscitent de nombreux débats tant au sein de la classe politique qu’auprès des organisations de la société civile des pays de départ, tout comme au Canada.

 Selon les données du gouvernement canadien, les ressortissants camerounais occupaient en 2023 la deuxième position derrière les Français en termes d’immigrés dans la province du Québec, où affluent les francophones. Le pays de Samuel Eto’o est le plus représenté dans cette province canadienne. Dans le détail, près de 15 000 Camerounais se sont installés dans cette province entre 2019 et 2023. Le top 5 des immigrants au Québec est dominé par l’Afrique, avec le Cameroun, l’Algérie et le Maroc classés respectivement 3e, 4e et 5e, juste derrière la France et la Chine, 1ers et 2es.

Bien que les études se fassent rares pour dresser un profil détaillé de ces migrants, un examen empirique montre que, dans des pays comme le Cameroun, les candidats à l’immigration canadienne forment souvent une communauté de fonctionnaires d’un certain niveau, quand il ne s’agit pas d’universitaires ou de professionnels hautement qualifiés. De même, les départs de l’Afrique vers l’Europe concernent généralement des profils recherchés par ces pays à travers des programmes de recrutements de talents, ou d’étudiants performants. Il est indéniable que l’Afrique assiste à une fuite croissante de ses talents, attirés par l’Europe, le Canada ou un autre ailleurs. Cette fuite des cerveaux est souvent le fruit de politiques de recrutement attractives dans les grandes capitales africaines.

Prenons l’exemple de Yaoundé. À l’entrée de l’Université de Yaoundé II, en plein mois de septembre 2024 une affiche publicitaire grand format promeut à bas prix la destination Canada, attirant des milliers de jeunes étudiants camerounais qui peinent à envisager un avenir meilleur dans leur pays. D’autres réseaux moins visibles, mais animés par des agences françaises et canadiennes, déploient des stratégies créatives pour capter les talents africains. La fuite des cerveaux est bien réelle, nourrie par des politiques agressives de détection et de rétention des talents.

Ces politiques très attractives vident progressivement l’Afrique de ses talents. Des pays comme le Canada attirent de nombreux jeunes qualifiés grâce à des programmes bien établis, accélérant cette fuite des cerveaux. Cependant, ce mouvement continu de départs n’est pas sans conséquences. Il prive l’Afrique de ses ressources humaines les plus qualifiées, ce qui affaiblit les capacités de développement des pays africains, déjà dépourvus de capital économique et technologique suffisant. Ces nations peinent à se développer, stagnent et deviennent des terrains fertiles pour diverses insécurités — alimentaires, sanitaires, et économiques.

Des sonnettes d’alarme

Au Cameroun, par exemple, le patronat a récemment tiré la sonnette d’alarme concernant les pénuries dans des secteurs clés de l’économie. La ressource humaine qualifiée devient de plus en plus rare, comme l’a souligné Célestin TAWAMBA dans une récente prise de parole.

Combien de jeunes Camerounais ne connaissent-ils pas un de leurs collègues aujourd’hui installé au Canada ? Combien n’aspirent-ils pas eux-mêmes à partir ?

Dans d’autres secteurs, l’effet est similaire. Les services sociaux comme l’éducation ou la santé sont en crise. De nombreux enseignants, infirmiers et aides-soignants sont désormais établis ailleurs. Le cas de l’éducation est particulièrement préoccupant. Le manque d’enseignants compromet déjà la qualité de l’apprentissage. Cet exode de talents est donc le symptôme d’une crise qui touche toutes les couches de la société camerounaise, et au-delà.

Une crise migratoire à double tranchant

Cette crise migratoire présente une double facette. D’une part, l’Afrique perd ses forces vives, ce qui affaiblit son potentiel de développement. D’autre part, les pays d’accueil, comme le Canada et les nations européennes, attirent une main-d’œuvre qualifiée, essentielle pour leurs économies. En privant l’Afrique de ses meilleurs talents, ces pays freinent sa croissance et contribuent à une augmentation des taux de pauvreté. Certaines nations africaines se transforment peu à peu en déserts humains, que les jeunes cherchent désespérément à quitter.

Effet boomerang ! La jeunesse restante, souvent sous-éduquée et peu qualifiée, finit par envisager elle aussi un avenir ailleurs. Poussés par la famine, le chômage et déçus par des politiques publiques incapables de générer de la valeur et de l’espoir, des millions de jeunes subsahariens pourraient, dans vingt ans, se tourner vers l’immigration clandestine pour atteindre l’Europe, le Canada et d’autres horizons. Par instinct de survie, ils seront prêts à contourner toutes les barrières, usant de leur énergie et de leur fougue.

Une fois arrivés dans les pays d’accueil, ces migrants seront confrontés à des systèmes qui peinent à absorber leur misère et leurs difficultés. Certains risquent alors de se révolter, d’ajouter de l’insécurité, et d’affaiblir des écosystèmes jusqu’alors établis. Il est important de le souligner : l’Europe et le Canada, malgré leur attractivité, n’ont pas des ressources infinies pour gérer cette “misère africaine”. À terme, ces territoires autrefois prisés pourraient eux-mêmes devenir des foyers d’insécurité.

Quelles solutions ?

 Il faut le rappeler. L’exode des talents africains, d’une ampleur inédite, a pris des proportions alarmantes au cours des 3 dernières années. Les professionnels qualifiés quittent l’Afrique pour des destinations comme l’Europe et le Canada, avec des conséquences profondes sur le développement socio-économique du continent. Ce phénomène se manifeste particulièrement dans des secteurs comme la médecine, l’ingénierie et les technologies de l’information, où la demande est forte à l’international, mais où les pays africains peinent à retenir leurs talents. Selon un rapport de l’OMS de 2023, sur les besoins mondiaux en santé, l’Afrique représente à elle seule 25 % , mais n’abrite que 3 % des travailleurs de la santé, un déséquilibre exacerbé par l’émigration internationale vers des pays occidentaux. Le départ de ces talents empêche l’Afrique de tirer pleinement profit de ses ressources humaines qualifiées pour soutenir son développement. La fuite des ingénieurs, des scientifiques et des entrepreneurs limite la capacité d’innovation et la croissance des industries stratégiques.  Les pays africains investissent dans la formation de ces professionnels, mais ils ne récoltent souvent pas les fruits de ces investissements lorsque ces diplômés partent travailler à l’étranger, souvent dans des conditions plus attractives en termes de rémunération et d’opportunités. Cette immigration unidirectionnelle de talents africains comble les lacunes dans les secteurs critiques de l’économie des pays d’accueil. Le Canada, par exemple, a un fort besoin de main-d’œuvre dans les soins de santé et la technologie et les talents africains y trouvent des opportunités qu’ils ne peuvent parfois pas obtenir chez eux.

Face à cette saisissante crise des fuites de cerveaux africains, quelles solutions consensuelles, quelles préconisations co-concertées envisager pour réguler cette dynamique migratoire alarmante et prégnante ? La première à priori sera un diagnostic suivi d’un dialogue franc et sincère pour établir les responsabilités et trouver des solutions durables à cette crise qui menace le Vivant.

HEMES NKWA

Présidente du Conseil pour le Suivi des Recommandations du Nouveau Sommet Afrique France (CNSAF)

Posted by Yoheda

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