Dans sa petite Une, le quotidien Echos Santé du 1er mars 2024 informe ses lecteurs que 8 filles sur 10 ne portent plus de slips au Cameroun. Mais après vérification, nous n’avons pas trouvé de preuve scientifique solide soutenant cette information.
Le vendredi 1er mars 2024, le journal Echos Santé, un quotidien national à capitaux privés au Cameroun écrit à sa petite Une : «Augmentation du taux d’infection vaginale : 8 filles sur 10 ne portent plus de slips au Cameroun ». L’article publié à la page 11 du tabloïde fait savoir dans son chapeau qu’il s’agit d’une enquête de la rédaction menée dans les dix régions du Cameroun. «D’après une enquête de la rédaction menée dans les 10 régions du pays, il ressort que les femmes s’habillent de plus en plus sans slips malgré le risque de multiples infections vaginales. Selon le gynécologue, Dr Averel Nidel Ngnintedem Dongmo, le port du slip protège la femme contre les infections vaginales, il absorbe l’excès de transpiration ou les fuites menstruelles et permet de garder le milieu convenable. Le gynécologue, conseille les sous-vêtements en coton aux femmes », peut-on lire. L’article a été publié aussi dans le site du journal. Cette une a été partagée dans plusieurs groupes Whatsapp de professionnels de médias, des pages et groupes Facebook.
Remarques après lecture de l’article
Nous avons lu l’article intégral. Après lecture, nous avons relevé des manquements sur la méthodologie sur la base de la précision du chapeau de l’article qui indique qu’il s’agit d’une enquête de la rédaction menée dans les dix régions du Cameroun. Elvis Serge NSAA et SOPPI EYENGA (Stagiaire), les rédacteurs de l’article ont rapporté les propos de dix personnes rencontrées, ce qui pose déjà un souci sur l’échantillon de l’enquête de la rédaction qui a couvert les 10 régions du triangle national. Sans faire une fixation sur la taille de l’échantillon, nous avons observé que les 10 personnes dont les déclarations figurent dans l’article ne sont pas représentatives des dix régions du pays. Sur les 10 personnes interviewées, Il n’y a pas de précision sur les lieux de rencontre de 07 personnes. En ce qui concerne les 03 autres personnes, l’indication du lieu de rencontre de 02 montre qu’elles viennent de la région du Littoral, précisément de Douala (l’une des filles est étudiante à l’université de Douala et l’autre qui a répondu qu’elle ne porte pas le slip parce qu’il fait chaud à Douala). L’indication de l’autre fille souligne qu’elle est de la région du Centre, précisément de Yaoundé (une habituée de la mode sans caleçon résidant au quartier Ekounou, dans l’arrondissement de Yaoundé IV). L’autre constat fait après lecture porte sur la représentation sociologique des personnes rencontrées. Sur les 10 filles, il n’y a pas de précision sur le profil socio-professionnel de 08 filles. Les 02 autres filles sont des étudiantes. Au regard de ces faiblesses méthodologiques, aboutir à la conclusion que 8 filles sur 10 ne portent pas le slip au Cameroun pose problème.
Regard critique des experts
Comme l’enquête porte sur l’infection vaginale, nous avons fait des recherches pour savoir s’il existe des études dessus dans le contexte camerounais. Nous n’avons trouvé aucune étude.
Nous nous sommes approchés du Dr Mbita Ghislain, épidémiologiste de terrain pour son regard critique. Il pense qu’il faut une étude scientifique au niveau national pour arriver du titre de l’article. « Je ne vois pas en cet article une quelconque méthodologie d’une enquête scientifique ou épidémiologique. Mais plutôt une interview à laquelle répond le collègue gynécologue en donnant plus son avis que des évidences scientifiques sur le sujet par rapport aux questions qui lui sont posées. Pour affirmer que 8 filles sur 10 ne portent pas de dessous il faudrait endosser cette affirmation à une évidence scientifique au terme d’une enquête dans les 10 régions du pays », déclare-t-il.
Nous avons sollicité le Dr Anthony Mbarga, gynécologue pour avoir son avis d’expert sur la méthodologie de l’enquête de rédaction du journal Echos Santé. Tout en saluant ce travail journalistique, il apporte quelques manquements méthodologiques. « Je crois que dans la façon de faire l’enquête, il n’y aura pas vraiment grande chose à redire. Sinon, c’est le fait de n’avoir pas inclus toutes les tranches d’âge, notamment les plus de 40 ans ou plus. Du coup ça crée un peu un biais dans les résultats puisque les sujets sont les jeunes et sont les seules à avoir été interrogés. Peut-être qu’on aurait pu aussi regarder en périphérie et pas seulement dans les grandes villes », explique-t-il.
Le port du slip est important, mais libre
Le Dr Anthony Mbarga a néanmoins tenu à préciser que le port du sous-vêtement est important et énonce quelques raisons. « Pour commencer nous vivons dans un monde où nous sommes influencés par plusieurs facteurs pour justifier une action x ou y. Le port du sous vêtement est important néanmoins pour absorber la sueur mais aussi lorsque nous avons des menstrues, ça permettra tout au moins de bien poser la serviette hygiénique. Au cas où nous sommes également dans une zone d’élévation de poussière le sous vêtement peut constituer une barrière », ajoute-t-il.
Toutefois, il reconnait aussi que le choix de porter ou pas relève de la liberté individuelle avec des raisons propres. « Maintenant nous ne saurons aussi condamner celles qui ne portent pas c’est un choix qu’elles assument pleinement pour des raisons qui leur sont propres. En conclusion je dirai qu’il est conseillé de porter mais pas obligé de porter un sous vêtement », précise le médecin.
Dans le souci d’équilibre, nous avons échangé avec le rédacteur de l’article. Il nous a fait savoir qu’il y a eu une grosse collecte de données sur le sujet, mais pour certaines contraintes, le rendu de l’enquête n’a pas permis de mettre ensemble toutes ces données.
En conclusion, le rendu laisse quelques insuffisances sur le plan méthodologique comme le montre les avis de spécialistes de la santé. Ce traitement médiatique peut être saisi pour en faire une étude qui aura une certaine portée scientifique.